Février 2023 – Devenir forêt / devenir légion
Affiche par Alain de Rachni
Cette fiction parle de la quête d’un Eden où fuir la violence politique. Je crois que c’est ce que je ressens, à l’émergence d’un mouvement social massif contre la dernière cuvée de réforme des retraites. Fin 2019, jusqu’au confinement, j’ai trainé mes savates à toutes les manifs, joué « on est là » à la trompette, brûlé des sapins sur le piquet du dépôt RATP de Pleyel dans un froid glacial, marché des kilomètres. Il y a eu des amitiés fortes, des tracts pleins d’énergie et d’humour, un horoscope de la grève sarcastique, des engueulades en AG, des étreintes en doudoune le long des cortèges pour se tenir chaud, le pink bloc qui dansait sur chômage chômage, une reprise bien à propos de Desireless. Le confinement est arrivé subitement. Loin de tuer notre énergie militante, il nous a inspiré.
J’ai réalisé des podcasts de confinement avec des morceaux de camarades dedans, des inquiétudes, de l’espoir, de la critique sociale, de l’indignation. Quand je réécoute aujourd’hui ma voix, je perçois toute la force collective de ces liens tissés pour durer, qui ne se sont pas dénoués dans l’isolement. Je recevais, émission après émission, des témoignages qui faisaient exister le dehors, et la communauté, et la camaraderie. J’enregistrais et je montais, en regardant le ciel bleu revenu, des puzzles de nos vies confinées. Je réécoute ma voix et j’entends tout ce qui a changé, les larmes me viennent avec les chansons que des camarades ont livrées, en vocaux comme des bouteilles à la mer. Que j’ai cousues avec amour, avec l’idée qu’il fallait documenter nos ressentis, nos réflexions au cœur de la pandémie.
Un autre hiver de lutte. Je me rappelle cette phrase d’un copain : “les lacrymos c’est comme le pinard, à chaque année son millésime”. A chaque réveillon, je pense aux vœux de l’année passée, aux espoirs déçus, aux constats successifs que non, la nouvelle année n’a tenu aucune de ses promesses, aux bonnes résolutions qui sont emportées par la marée, aux vagues de gilets jaunes, aux variants du COVID, aux piqûres de rappel, aux trognes usées par les outrages, aux coups de canif dans le contrat social, à ce type en 2019 avec sa banderole « rien à foutre de Noël », en lettres tracées en blanc sur noir, sur fond de place de la Bastille assaillie de grilles anti-émeutes. A lui surtout, je repense souvent, lorsque l’injonction à “passer les fêtes” et à célébrer paraît un peu dérisoire, de plus en plus dérisoire, à mesure que “toutes ces années de sévices” s’empilent comme des assiettes sales.
Aux jajas on m’a dit : « pour l’édito penses à ce que tu voudrais insuffler pour le mois à venir ». Et je suis désolée de livrer ainsi ma lassitude, mon épuisement militant. « Leurs yachts échoueront sur nos grèves » – une affiche d’Alain de Rachni, dans Formes des luttes, aperçue maintes fois dans les cortèges, avec un navire échoué, qui me fait davantage penser à mes plans d’avenir qu’à ceux de Bernard Arnault.
Et pourtant, j’y suis allée. J’ai croisé des mines en manif que je ne pensais pas voir. Un ami d’enfance qui ne manifeste jamais m’a lancé “je me suis dit que c’était le moment de faire l’histoire”. Des boulevards noirs de monde, des corps qui se serrent, des rues qui débordent de colère. Des médias qui parlent du grand spectre de 95, de ces grèves qui ont fait plier la droite, qu’ils ont tellement peur de voir refleurir au cœur de l’hiver. Alors il faudra bien joindre ses forces, dévaler les rues et grossir les rangs. Mais j’avais tout de même envie de parler de cette fatigue, de cette envie de devenir forêt, de revenir en arrière, d’abandonner et de s’abandonner, de lâcher prise. Car je crois que ce sentiment nous traverse toustes parfois, et qu’il faut se rappeler combien il est difficile de lutter contre le courant. En vous souhaitant, plutôt qu’une bonne et heureuse année, de la force et du courage, et aussi un petit coin de paradis, mental ou véritable, pour y puiser les ressources qui vous sont nécessaires.
Alouette pour les Jaseuses
#Wittig2023 – Atelier de recherche
Rendez-vous jeudi 23 février de 15h à 17h au Bonjour Madame (Paris 11) pour un atelier de recherche intitulé Monique Wittig : Détournements/Renversements, comprenant des communications de Rachel Boyer et Bénédicte Gattère. Atelier gratuit et ouvert à toustes, sentez-vous les bienvenu·es !
Apocalypse
L’édito de cette newsletter y faisait allusion, Alice Forge a déposé dans la rubrique Apocalyptique du carnet une nouvelle science-fictionnelle intitulée Stéréoscope : devenir paysage. On est ravi·es que le carnet accueille des fictions autant que des articles académiques ou de la poésie !
⚡On jase aussi par ici
Pour Jeanne Magazine, Adèle Cassigneul signe une chronique de Sans armure, court récit lesbien sur le vivre-ensemble neuroatypique signé Cathy Ytak. Elle publie également un poème, “Il n’y a plus d’amour à l’aube”, dans la revue Miroir.
Marie Penicaut a eu la chance de rencontrer Zeyn Joukhadar, auteur de Les trente noms de la nuit, récit initiatique d’une grande poésie qui aborde avec délicatesse les thématiques complexes de la transidentité, l’immigration, la mémoire et la transmission. Iels ont parlé de littérature trans, de soin et d’histoire syro-américaine, et c’est aussi dans Jeanne Magazine !
Dans l’épisode 14 du podcast Pourvu qu’iels soient douxces de Jeunes Critiques d’Art, Mathilde Leïchlé, Camille Bardin, Samy Lagrange et Claire Luna reviennent sur l’exposition en deux volets HUMPTY \ DUMPTY de Cyprien Gaillard. Dans la seconde partie, iels évoquent ce que c’est pour elleux, au jour le jour, l’écriture comme travail (rituels, méthodes, rythmes, frustrations…).
Un article de Cassandre Martigny, “Déconstruction d’Œdipe Roi et construction identitaire : la parole performative de la Jocaste de Michèle Fabien“, vient de paraître dans le numéro 12 de la revue Litter@ incognita, rassemblant les actes de la journée d’études des doctorant·es du laboratoire LLA-CRÉATIS du 29 Octobre 2021, intitulée “Les personnages féminins dans les réécritures féministes : esthétique et politique des classiques à la scène”.
Deux Jaseuses signent des notes de lecture dans le dernier numéro de la revue GLAD! Alice Hagopian s’intéresse à Carmen, pour changer : variations sur une nouvelle de Prosper Mérimée de Sophie Rabau. Elisa L. Walter parle du recueil Penser la langue, l’écriture, le lesbianisme. Entretiens avec Michèle Causse établi par Françoise Armengaud et Dominique Bourque.
Toujours dans le dernier numéro de GLAD!, Éléonore de Beaumont propose une nouvelle chronique intitulée “Les genres comparés“. Elle s’intéresse au turc, une langue sans genre grammatical… qui n’est pas pour autant une langue neutre.
Pour Jeanne Magazine, Margot Lachkar présente et analyse Peggy dans les phares, roman de Marie-Eve Lacasse (Flammarion, 2017) qui revient sur la longue histoire d’amour entre Françoise Sagan et la styliste et journaliste de mode Peggy Roche (extraits à retrouver aussi sur Instagram).
Élise Huchet organise un séminaire le 15 Février à 9h au Centre Marc Bloch (Berlin) et en ligne, dans lequel Hourya Bentouhami viendra présenter son dernier ouvrage consacré à l’œuvre de Butler, à la lumière des théoricien·ne·s critiques de la race. La séance est ouverte à toustes !
Ami-es des Jaseuses
Le club de lecture non mixte Lirelles prépare une séance autour du Wittig d’Émilie Notéris le 12 février. Leur écrire pour y prendre part !
On partage l’appel à communications pour la journée d’étude sur les invertébré-es, organisée par Chloé Pretesacque et Mayeul Victor-Pujebet. Deadline le 10 mars !
Le collectif MOUVEMENT(S)nous invite à découvrir la performance _51_ le samedi 11 février à 17h30 et 19h, à La Parole Errante (Montreuil) dans le cadre de la soirée de soutien à l’atelier des Désaxé·e·s et à la librairie Michèle Firk. Pour y assister, écrire à contact@blackcut.net.
BADASSES (Blog d’Auto Défense contre les Agressions Sexistes et Sexuelles dans l’Enquête en Sciences sociales) organise une session d’arpentage autour du livre Taboo : Sex, Identity and Erotic Subjectivity in Anthropological Fieldwork, co-dirigé par Don Kulick et Margaret Willson, et paru en 1995. L’atelier aura lieu le lundi 27 février de 15h à 19h, à Pantin, métro Hoche (l’adresse exacte sera donnée ultérieurement aux inscrit·es). Pour s’inscrire, envoyer un mail à badasses@protonmail.com.
Andrée Ospina et sa bibliothèque itinérante BBQ – lesBi·Bi·Queer se posent pour l’hiver dans la région de Nantes. Après avoir passé l’été à rouler de festivals auto-gérés en plannings familiaux, de bars queer en salons féministes, pour animer des ateliers et présenter les presque 200 ouvrages queer et lesbiens de la collection, elles ont besoin d’un coup de pousse pour passer l’hiver et renflouer leurs caisses. C’est par ici pour soutenir Andrée si vous le pouvez !
L’association Les Ami·es de Monique Wittig s’associe avec BetonSalon, Mathilde Belouali et Stéphanie Garzanti et présente la programmation “Cap pour l’île des vivantxs” pour l’année #Wittig2023. Le vendredi 24 février de 18h à 20h30, à BetonSalon (Paris 13), se déroulera la lecture collective de la Pensée Straight de Monique Wittig. Vous êtes toustes bienvenu·es pour venir lire et/ou écouter Wittig ensemble !
Face à la catastrophe qui frappe la Turquie et la Syrie, on se sent un peu impuissant·es… Si vous voulez et pouvez aider financièrement, Éléonore de Beaumont (qui vit en Turquie) recommande une association turque fiable qui œuvre sur le terrain : AHBAP (80 tl = environ 5 euros avec les frais bancaires). Pour la Syrie, les casques blancs sont sur place.
A bientôt en manif, en atelier, en visio… Et on vous embrasse !
Conceptrices : Patrycja Toczek et Caroline Dejoie
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Les Jaseuses (11 janvier 2023). Février 2023 – Devenir forêt / devenir légion. Les Jaseuses. Consulté le 5 octobre 2024 à l’adresse https://doi.org/10.58079/quna
