Novembre 2022 : Je te circule, tu me circules

 Au bout d’un peu plus de trois ans et demi, je quitte les Jaseuses ce mois-ci.

Cet été, alors que je rencontrais certaines des autrices qui m’éblouissent le plus au Québec, j’ai eu quelques fois l’occasion de parler des jasettes et des jaseuses – puisqu’à l’origine, le nom du groupe vient d’elles. Pleine d’un mélange de joie, d’excitation, de fierté, d’une certaine hubris aussi – qui étais-je pour parler d’un collectif dont j’étais un peu fière, à ces écrivaines que j’admirais et qui avaient fait et connu tellement plus ? – je dois dire que j’ai été un peu surprise. En fait d’enthousiasme, j’ai surtout trouvé de la gêne, presque un regret : la Jasette, ce n’est pas franchement l’œuvre collective qu’elles portent le plus dans leur cœur, ces écrivaines que j’admire. Déception ; petite honte ; rires aussi. « Oupsie », quoi.

Ensemble on a quand même un peu parlé de nous, du fait qu’il y avait cet écho, qu’aujourd’hui on était là les Jaseuses, à bricoler nos textes et nos images, à réfléchir à ce que signifie faire de la recherche et de la création en féministes, depuis différentes positions, dans différentes visées. Les jasettes redeviennent ce qu’en espérait la poète Janou Saint-Denis à l’époque ; ces « paroles ambitieuses que l’on verse sèment dans le corps-texte imbroglio tel qu’irruptent les urgences » ; en bazar, en mélange parfois, mais voilà. Là, pour le coup, il y avait de quoi être fières.

On a parlé de la force de ce collectif, de son ampleur – presque une centaine de membres aujourd’hui ! –, de ses réussites, de ce qui manque encore.

On n’en a pas parlé, mais j’ai pensé aux maux à l’âme guéris, ou un peu pansés, au sein de ce collectif. Je n’oublie pas, et c’est très personnel, mais c’est aussi très vrai, que c’est beaucoup grâce aux Jaseuses – à la joie, à l’entraide, à l’amitié et à la confiance par défaut, à l’intelligence collective de ce groupe – que je suis sortie de dépression il y a quelques années ; je sais que nous sommes quelques-un·es dans cette situation.

On a parlé de l’aspect d’utopie des Jaseuses, hérité de l’histoire des mouvements féministes et queer, hérité de l’histoire du numérique aussi (je crois ! on ne le dit pas souvent, mais cet aspect numérique, ubiquitaire, tentaculaire, répond aux premières utopies d’Internet). Je ne crois pas aux utopies parfaites, hein, je suis partisane, ça commence à se savoir un peu, des utopies du désordre, moi : le bordel et l’imperfection, c’est bien, les tensions, c’est normal, l’identité qui change tout le temps, c’est sain. Cet élan partagé et communicatif, avec ses brisures parfois, c’est ça l’utopie, je pense.

Je crois que tout ça, « c’est ce que les amantes veulent dire quand elles disent, “je te circule”, “tu me circules” »¹ : de l’énergie qui passe de l’un·e à l’autre, pas franchement vouée à se stabiliser ni à s’arrêter. Et puis si « on se circule », ça signifie aussi qu’on entre, qu’on sort.

Bref, voilà. Je fais un peu le deuil, en partant, mais je sais que le collectif est – encore – au seuil de nouvelles révolutions, toujours dans le même élan ; j’ai hâte de suivre la suite.

Aurore (Turbiau)

⚡On jase aussi par ici

 Adèle Cassigneul signe pour Jeanne Magazine une critique du Wittig d’Emilie Notéris paru aux éditions Les Pérégrines

 Éléonore de Beaumont publie sur Fabula sa recension de l’ouvrage Devenir non-binaire en français contemporain (Vinat Swamy & Louisa Mackenzie).

 Adèle Cassigneul, Caroline Dejoie et Claire Salles sont allées écrire avec d’autres à la Bergerie de Villarceaux.

  Dans le cadre de ses missions à l’Institut National d’Histoire de l’Art, Mathilde Leïchlé est membre du comité scientifique et d’organisation du prochain Congrès Rotondes, congrès des jeunes chercheureuses en histoire de l’art et archéologie. Le thème choisit pour cette seconde édition est “En finir avec le canon ?
Formation, continuité, rupture des références en histoire de l’art et archéologie“. L’appel est ouvert jusqu’au 20 novembre et s’adresse aux artistes, archéologues, historien-nes de l’art, élèves conservateurices, élèves conservateurices-restaurateurices et jeunes critiques d’art !

 Margot Lachkar a répondu aux questions de Fasséry Kamissoko sur le dernier roman de Virginie Despentes, Cher Connard, pour “Terriennes” (TV5 Monde).

 L’équipe d’Ecrire à l’encre violette. Littératures lesbiennes en France de 1900 à nos jours, composée en partie de Jaseuses et ex-Jaseuses, sera présente pour discuter de l’ouvrage à Lille vendredi 18 novembre à partir de 19h (réservation ici). Le 23 novembre, une participation au séminaire ARPEGE de l’université de Toulouse à l’invitation de Sylvie Chaperon (14h-16h) sera suivie d’une rencontre à la librairie Floury à partir de 18h30, animée par Adèle Cassigneul.

 Dans le cadre du collectif Jeunes Critiques d’Art, Mathilde Leïchlé signe avec Camille Bardin et Samy Lagrange un article en deux parties sur les réseaux sociaux et la diffusion des savoirs. Iels ont rencontré des chercheureuses et créateurices de contenu pour mieux comprendre les enjeux et répondre à plusieurs questions : comment parler d’art sur Insta ? Faut-il publier ou périr, être visible ou disparaître ? Quelles perspectives pour une plus grande solidarité ? La première partie est ici et la seconde sort le 15 novembre.

Claire Salles explore les liens complexes qui se tissent entre psychanalyse et militantisme dans son podcast Le divan sur la barricade. Co-créé avec Kelly Carpaye et mixé par une autre Jaseuse, Julia Maillard, l’épisode est hébergé par la revue Chimères.

 Aurore Turbiau annonce la soirée de lancement de l’ouvrage Esthétiques du désordre. Vers une autre pensée de l’utopie, co-dirigé avec Judith Cohen et Samy Lagrange, le 24 novembre à la librairie Le Pied à Terre, à 19h30. Plusieurs Jaseuses ont participé à l’ouvrage, notamment les créateurices du podcast Les Échos du futur, ainsi que Quitterie de Beauregard et Marie Penicaut, qui parlent apocalypse, guerre des sexes, bricolage d’épistémologies féministes et écologistes.

 Adèle Cassigneul, Suzel Meyer et Taous Dahmani ont lancé une revue de critique créative : Outsider. Le premier numéro est à lire sur le site internet ; un nouvel appel à texte suivra dans quelques temps pour la suite ! Les contributions portent sur l’histoire de l’art, le cinéma, la musique, les séries, et la photographie, interprétant chacune le thème de l’outsider. Isaline Dupond Jacquemart y propose notamment un texte à deux voix autour de ses photos.

 Luce Roudier, avec Matthieu Letourneux, dirige le 54ème numéro de la revue Genesis. “Écrire à la chaîne” explore les enjeux des productions littéraires sérielle.

 Au sein du Narratives of Neurodiversity Network, Alice Hagopian et 12 autres membres ont écrit “Neurodiversity, Networks, and Narrative: Exploring Intimacy and Expressing Freedom in the Time of Covid-19” pour le journal Social Inclusion. Cet article est une réfléxion collective sur des expériences de lecteurices/créateurices neuroatypiques dans ce réseau en ligne. On y traite d’enjeux comme la connaissane de soi, l’inclusion et la coproduction de savoirs, grâce à des discussions initalement autour de récits et leurs potentielles perceptions neuroatypiques.

Ami·es des Jaseuses

On partage la cagnotte de Clotilde et son projet Les Guérillères, pour soutenir cette future librairie itinérante, inclusive et joyeuse, basée en Bretagne !

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Pas de nouvelles publications sur le carnet ce mois-ci, mais beaucoup de choses en travail en interne pour préparer le futur et prendre soin du présent – ça circule, ça vit ! Merci de votre soutien, et à bientôt !

Image de couverture sur le carnet : Louise Bourgeois, Untitled, 2005, tissu

Conceptrices : Patrycja Toczek et Caroline Dejoie

1. Monique Wittig et Sande Zeig, Brouillon pour un dictionnaire des amantes, Paris, Grasset, 1976, entrée “Circulation”. [↩]

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