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Mai 2023 – Quarante-cinq minutes

Carolina Kroon, Les Lesbian Avengers crachant du feu face à la Maison Blanche, Dyke March, le 24 avril 1993.

Comme beaucoup d’entre nous, je me suis faite larguer à plusieurs reprises dans ma vie. La dernière fois, c’était il y a six mois, et là où pendant quelques années j’ai compris toutes les chansons d’amour, soudainement j’ai compris toutes les chansons de rupture.

Je me suis retrouvée avec encore beaucoup d’amour à donner et il fallait le mettre ailleurs, alors j’ai cherché comme une chercheuse : là où je savais trouver, parmi les autrices que j’aime. Je me souviens… 1, Nos Secrètes Amours 2 tour à tour m’ont réconfortée de leurs pleurs similaires aux miens. C’est agréable de trouver écho à ses émotions, mais ce n’était pas ma solution. C’est au milieu de ce gros chagrin qu’est apparue Mary Oliver3. Ses mots me parlaient, ses mots qui parlent d’amour et de deuil, puis de nature et de dieu ; je les ai écoutés. Ils me disaient de contempler : j’ai pris le temps d’aimer encore le vol des oiseaux, le vent par ma fenêtre et le moucheron sur mon écran – une spiritualité éclectique m’avait déjà enseigné cet amour, mais il avait été oublié. Aimer m’a toujours paru un choix et les lectures que le hasard m’a portées n’ont fait que renforcer cette croyance. Si je faisais le choix conscient d’être amoureuse d’une femme, je peux le refaire pour être amoureuse du monde. Aimer est un exercice qui demande aussi d’accepter les défaites, les jours où on n’aime rien, les jours où on aime très peu, mais je crains moins la tristesse depuis que je sais que je pourrai toujours aimer le soleil qui se lève et les pipistrelles qui dansent le soir. La lecture de bell hooks (All About Love, New Visions) m’a apporté une idée de la mise en pratique de l’amour vis-à-vis des autres êtres ; là où Mary Oliver m’avait appris à trouver l’amour, bell hooks semblait me montrer où le rendre. Au milieu de ce gros chagrin, j’ai trouvé mes ami-es, j’ai trouvé les Jaseuses, j’ai trouvé un chat dans la rue, et j’ai trouvé que l’amour est partout.

Aimer le monde, c’est aussi voir le manque d’amour, et il est partout où la violence règne. Les réseaux sont pleins d’images et de vidéos de violences policières, les journaux annoncent toutes les nouvelles que le gouvernement met en place pour appauvrir les plus pauvres enrichir les plus riches. Tout me remplit de désespoir ; je me laisse pleurer quarante-cinq minutes (c’est mon temps moyen), parce que la sérénité vient de l’acceptation des émotions ou quelque chose comme ça. En clair : être une grosse fragile me rend super forte.

C’est qu’aimer n’apporte pas de changements à grandes échelles, pas de solution immédiate, c’est un processus qui requiert de la patience, et je n’ai pas envie pendant ce temps de n’être que sereine, paix et amour. Je suis aussi colère, contre le système, les trucs patriarcat, les bidules capitalisme et les individus qui participent et ceux qui ne font rien. J’aimerais que ma colère soit une bouche pleine de dents pointues qui crache du feu, mais aux yeux du monde, ma colère est une plaie qui saigne, et il me semble que chaque action que j’entreprends seule pour la panser ou la défendre est vaine et ne fait que maculer mes ennemis de mon propre sang. Cette bataille, que j’ai l’impression de mener seule lorsque je ne pense qu’à moi, n’est que l’écho d’un conflit plus grand. Il est nécessaire de réparer l’injustice qui nourrit ma (nos) colère(s). Je ne veux pas l’éteindre, je veux qu’elle m’emmène placarder le nom des agresseurs que je connais dans la rue, je veux qu’elle me fasse cracher sur les flics, je veux qu’elle mette un pain au vieux riche qui me (nous) catcall dans la rue, je veux qu’elle nous fasse courir après un violeur pour lui casser les genoux. Si mon blabla glisse au pluriel, c’est que même les Amazones, si fortes soient-elles, gagnaient ensemble.

Je ne suis pas prête encore à retourner sur le champ de bataille des idées4 alors en attendant, je rêve surtout d’aimer assez pour trouver dans ma communauté d’autres guerrières et je profite, comment dire, du repos du guerrier et de la paix de l’amoureuse…

Heka pour Les Jaseuses


Encyclo

Nous vous donnons rendez-vous le samedi 10 juin à Mains d’Oeuvres (93, Saint Ouen) pour une journée d’études joyeuse autour du Brouillon pour une encyclopédie féministe des mythes, ouvrage paru en mars dernier aux Éditions iXe et co-dirigé par huit jaseuses. De 14h à 20h, nous parlerons de mythes et de féminismes dans le cadre de tables rondes, communications, performances, ateliers et lectures… prolongées par une exposition rassemblant une partie des œuvres visuelles parues dans le livre. L’événement est gratuit et ouvert à toustes, le programme complet arrive d’ici peu ! Au plaisir de vous y voir nombreuxses !

#Wittig2023

Le Voyage sans fin c’est une pièce de théâtre dans laquelle Monique Wittig réinvente l’histoire de Don Quichotte de Cervantes (1605-15) pour nous offrir les aventures de sa Quichotte et sa Panza. On n’est pas obligé-e d’être un-e expert-e de Cervantes pour apprécier Le Voyage sans fin. On nest pas obligé-e d’être spécialiste de Wittig pour écrire à partir du Voyage sans fin.
Cet atelier vous propose un partage de lecture et un temps d’écriture avec Wittig pour donner encore davantage de voix à sa Quichotte fantasque et féministe. Rendez-vous mardi 30 mai à 19h, sur Zoom. Atelier gratuit sur inscription, ouvert aux personnes au genre minorisé. Seulement dix places disponibles, nous écrire à lesjaseuses.carnet@gmail.com, en indiquant le nom de l’atelier dans l’objet de mail.
Mardi 16 mai, à partir de 18h, on parlera des Guérillères avec Camille Lorenzi, qui termine de rédiger un mémoire sur le sujet. Dans une discussion encadrée par Alex Lachkar, elle nous parlera des codes de l’épopée, de la subversion opérée par Wittig, et des possibles interprétations de ce fameux “elles” si caractéristique des Guérillères. L’atelier est gratuit et aura lieu sur Zoom. Pour obtenir le lien, écrivez-nous à lesjaseuses.carnet@gmail.com, en indiquant l’atelier qui vous intéresse dans l’objet de votre message. Des extraits de l’ouvrage seront envoyés par mail, mais il n’y a aucun besoin de l’avoir lu en intégralité pour assister et participer à cet atelier.

⚡On jase aussi par ici

:aiguille_à_coudre: Les co-directrices du Brouillon pour une encyclopédie féministe des mythes continuent de présenter l’ouvrage collectif un peu partout !
Il sera présenté samedi 27 mai aux Métamorphoses (Douarnenez) par Maud Plantec Villeneuve ; jeudi 8 juin à la librairie Arborescence (Massy) par Caroline Dejoie, Cassandre Martigny et Manon Berthier ; et vendredi 30 juin à L’Affranchie (Lille) en présence de Marys Renné Hertiman, Cassandre Martigny, Mathilde Leïchlé et Anna Levy.

:drapeau_transgenre: Dans une chronique pour Madmoizelle, M. Penicaut vous raconte pourquoi il faut lire (de toute urgence) La fin des monstres de Tal Madesta, récit sensible et politique d’une transition.
🖋️ Pour Jeanne Magazine, Adèle Cassigneul chronique l’essai signé Pierre Niedergang, Vers la normativité queer, paru aux éditions Blast. Vient aussi de paraître dans la LA Review of Books son essai critique consacré à Luxury, Sensation and the Moving Image d’Alice Blackhurst, qui analyse les oeuvres de Chantal Ackerman, Annie Ernaux, Louise Bourgeois et Sophie Calle.

🧵 Le 3 avril, Mathilde Leïchlé a donné la conférence d’ouverture du séminaire « Mode et sexualités » de l’Institut français de la mode. Elle était intitulée : « Couvrez cette sainte que je ne saurais voir : enjeux et ambiguïté de la nudité dans les représentations de Marie Madeleine au XIXe siècle en France ». Le 26 avril, elle intervenait dans le cadre du Tokyo Art Club du Palais de Tokyo aux côtés de Guillaume Désanges et Thomas Hirschhorn pour évoquer les représentations de la violence dans l’art.

:porte-voix: Le 11 mai, Marine Rouch organise un nouveau wébinaire pour la Société internationale Simone de Beauvoir. Les deux autrices gagnantes du Prix Patterson 2021, Mickaëlle Provost et Anne van Leeuwen, viendront chacune présenter leur article (en français et en anglais) autour de Simone de Beauvoir et de la question de la pluralité des oppressions et de l’exploitation. Les inscriptions sont ouvertes jusqu’au 10 mai. L’événement sera enregistré puis disponible sur la chaîne Youtube de la Société internationale Simone de Beauvoir.
:enseignant_neutre: Eléonore de Beaumont a publié un article intitulé « Vers une prise en compte de la non-binarité dans l’enseignement du FLE. Propositions pour un réagencement des pratiques pédagogiques », dans la revue Recherches en didactique des langues et des cultures.
🌪 Manon Berthier interviendra le 24 mai dans le cadre de l’université d’été « Traduction et politique : un horizon pour les sciences humaines et sociales ? », avec une communication intitulée « ‘Traduttore, traditore. An act of translation is always an act of betrayal’: de quelques usages politiques du mythe de Babel dans la fantasy contemporaine ». Informations à venir sur le site de l’EUR FRAPP.
:gâteau: Virginie Trachsler a rejoint le comité éditorial de la revue de poésie Sœurs. Dans le dixième numéro, « gourmandes », sorti cette semaine, elle signe la traduction d’un poème de Fatimah Asghar. Ce numéro est un festin poétique pour réclamer un droit égal et universel au plaisir, devant notre assiette et partout ailleurs !
:goutte:Anna Levy et Alex Lachkar participeront à la journée d’étude « Université et littérature contemporaine : médiations, légitimations, méthodes ». Anna présentera une communication intitulée « Le festival littéraire : instance de légitimation de la littérature performée et espace de redéfinition du canon littéraire ». Alex participera à une table ronde et discutera de l’enjeu d’être « Un chercheur queer face à la littérature lesbienne et ses auteurices : amitiés, échanges, identifications, interrogations et recherche ».
:billets_volants: Si vous voulez soutenir les Jaseuses en nous donnant un coup de pouce financier, vous pouvez faire un don ici. Cet argent nous servira à défrayer les personnes participant à nos événements, rémunérer les artistes avec lesquelles nous travaillons, payer nos frais bancaires et d’assurance. Merci !

Ami-es des Jaseuses

:feu: Le Théâtre de l’Atelier (Paris) nous a offert trois places pour aller voir la conférence spectaculaire d’Hortense Belhôte « Portraits de famille. Les oublié-es de la Révolution Française » qui passe du 6 au 27 mai. C’est un partenariat : en échange de ces places, on parle du spectacle ici et sur nos réseaux sociaux. On adore le travail d’Hortense Belhôte et on envisage d’en parler bientôt sur notre carnet. Vous pouvez réserver des places en première catégorie à 15€ (au lieu de 25€) en passant par ici (sauf si vous avez moins de 26 ans, dans ce cas là, vous avez des places à 10€ ici).
:bisexual_pride_flagsvg: Voici une chouette brochure d’autodéfense contre la biphobie en milieux queer et transpédégouine : Les Licornes existent et ont la rage. Vous pouvez la télécharger en format page par page et format brochure à imprimer en RV bord court. À faire tourner !
:silhouette_parlante: On relaie l’appel à communications du colloque « Paroles dominantes/paroles dominées » qui se déroulera en novembre prochain à Orléans. L’appel est ouvert jusqu’au 30 juin, et accueille des propositions de tout horizon théorique et artistique !
:cyclone: Base bleue organise une soirée de lancement de l’ouvrage collectif auto-édité « Certaines méduses sont immortelles », le mardi 16 mai, de 19h à 22h au 43 rue de Lancry, 75010 Paris. Il rassemble les créations d’Alix Laraignou, Anouck Chênebeau, Isaline Dupond Jacquemart (membre des Jaseuses), Louise Cattarinussi, Marine Lemaire et Maud Yvon. Mêlant l’écrit et l’image, l’édition donne à voir des facettes de nos existences incarnées nous constituant à différents âges, qui sonde le regard porté sur les corps et explore l’être en train de se faire et de se défaire.
:livres: Le cycle de lectures collectives « Cap pour l’île des vivantxs” co-organisé par l’association Les Ami.es de Monique Wittig, Bétonsalon et Stéphanie Garzanti se poursuit dans le cadre de #Wittig2023. Prochain rendez-vous le vendredi 26 mai de 18h à 20h30 à Bétonsalon pour lire ensemble Virgile, non. Ouvert à toustes, vous êtes les très bienvenu.es pour partager ce moment wittigien !

Merci de nous suivre et de nous donner de l’amour, en voici plein en retour. À très vite et prenez soin de vous.

 

Cette newsletter a été préparée par Virginie Trachsler, Marine Rouch, Elisa L. Walter et Caroline Dejoie

Conceptrices : Patrycja Toczek et Caroline Dejoie

 

  1. Natalie Clifford Barney, 1910, paru en février chez Gallimard []
  2. Lucie Delarue-Mardrus []
  3. J’ai découvert plus tard que c’est aussi une lesbienne depuis je ne crois plus au hasard []
  4. « Je ne les aime ni ne les déteste. (…) Je leur en veux d’avoir fait beaucoup de mal aux femmes. Ce sont des adversaires politiques que je me plais à injurier pour les besoins de la cause. Hors du champ de bataille des idées, ils me sont inconnus et indifférents. » San Giovanni à propos des hommes dans Une Femme m’apparut, Renée Vivien, 1904 []

OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Les Jaseuses (13 avril 2023). Mai 2023 – Quarante-cinq minutes. Les Jaseuses. Consulté le 14 novembre 2024 à l’adresse https://doi.org/10.58079/qunj


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